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Incursions chez des gens de parole

 

Comment 'la crise' nous touche personnellement

Dans mon blogueviseur et ailleurs sur le Web, on parle peu de la très médiatisée crise économique actuelle. Comme si on voulait l'occulter. La conjurer. Ou simplement l'oublier. C'est pourtant, de mémoire d'homme de soixante-six ans, un événement dont l'importance et la signification risquent d'égaler l'attaque indicible des tours jumelles du World Trade Center, l'invasion sauvage de l'Irak par les Américains, la chute du mur de Berlin et celle de l'URSS... pour ne mentionner que ceux-là. Preuve : les gouvernements paniquent aujourd'hui comme ils l'ont fait au lendemain du 11 septembre 2001 en investissant massivement pour sécuriser le système; cette fois-ci cependant, l'argent public servira à sauver le système financier (dont dépend le système économique qui assure au politique sa stabilité). Mais nous, les contribuables qui n'avons d'autre choix que de payer les pots cassés par ceux à qui nous confions notre sort en toute confiance... En quoi cette crise nous touche-t-elle?

Le sujet a inspiré à Pierre Foglia une de ses chroniques les plus 'songées', La mort, encore. Extraits :
« Si les grands de ce monde, et les petits tout autant, avaient conscience de leur "finitude", s'ils avaient à l'esprit que tout cela va finir, si nous avions tous notre mort imprimée en relief dans notre cerveau, il me semble que, au lieu de s'engueuler pour savoir s'il y aura ou non une vie après, on se dépêcherait de s'organiser pour qu'il y en ait une avant.

« Me semble que tout serait différent si la mort comme issue certaine et scientifique à notre aventure était, en permanence, partie de notre vie. Morbide, vous croyez?

« Me semble au contraire que cela nous ferait le pied plus léger. Plus aventureux. Nous rendrait moins pressés de tout, sauf de plénitude. Moins portés sur la vitesse. Moins portés sur la possession et le pouvoir. Moins dépendants des systèmes. Plus légers, je dis bien. Au moment de prendre de grandes décisions ou d'entrer dans un débat l'écume aux lèvres, en pensant à la mort nous viendrait cette petite formule magique qui chasse la brume et déleste le cerveau de ses idées de plomb: what the fuck?

« [...] Cette crise est liée à notre incapacité de penser en dehors des systèmes. En dehors des formules consacrées comme «expansion durable», qui induit une idée hyper-convenue du progrès. Notre incapacité de penser en dehors de formules comme «une demande suffisante», qui induit l'obligation de la consumante consommation.

« Liée aussi à notre incapacité de penser en dehors de la seule certitude scientifique de notre vie: la mort.

« Je déconne? Disons que j'explore cette liberté, cette légèreté, cette envie de prendre des risques (what the fuck), cette envie d'inventer qu'aiguillonne la certitude de la mort. Cette envie de créer plutôt que de suivre le sillon qui mène de la crise de 1932 à celle des années 80 à celle d'aujourd'hui.

Dave Pollard s'est demandé quels changements (majeurs!) cette crise devrait avoir sur nos comportements individuels, selon les scénarios qui risquent de s'ensuivre :
What's next for the economy?
What Might Happen Next

What You Can Do Now

Deflation (continuous price drops) for manufactured and luxury goods/services, stocks and housing
  • Defer buying such goods
  • Learn to haggle (marchander) -- don't pay list
  • Don't be suckered by "sales" and "limited time offers"
  • Don't be suckered into getting back into the market(s) anytime soon
Inflation (sharp price increases) for staple goods (food, energy) and land; Agricultural crisis in 2009
  • Grow your own, using permaculture
  • Make meals from scratch
  • Invest in solar, wind, geothermal, insulation
  • Practice energy conservation
  • Prepare to spend more of your income on these items
Spike in personal, corporate and government bankruptcies;
Tight, expensive credit for most
  • Pay off debts and avoid new ones
  • Don't buy extended warranties
  • If you must buy, make sure it's durable
Wage deflation (annual pay cuts)
  • All of the above
  • Create your own sustainable Natural Enterprise
  • Invest in know-how (carpentry, home repair, sewing, cooking)
  • Create your own entertainment instead of buying it
  • Learn how to buy used, wisely
Spike in pension plan insolvencies
  • Don't depend on your pension
  • If it's a defined contribution plan, reconsider plans to retire
Health care crisis (increased demand + cuts in funding)
  • Get fit
  • Learn to self-diagnose and (within reason) self-treat
  • Eat healthy
  • Practice preventive medicine
Collapse of Chinese economy
  • Create local markets
  • Pledge to buy local
  • Make your own
Infrastructure failures
  • Learn not to rely on the grid, Internet, or phone system
  • Be prepared to bike or walk if public transport fails
  • Develop carpool networks
  • Figure out how you can work from home even if the utilities are offline
  • Don't live in the suburbs
  • Strengthen your local community networks
Education crisis (cuts in funding)
  • Learn to teach yourself, and unschool your kids
  • Collaborate with community in education programs
Gilles Beauchamp se questionne sur la lucidité dont font preuve nos dirigeants politiques avec leurs solutions à coups de milliards : Quelles infrastructures?
« J’ai peine à avaler ces solutions qui nous incitent à agir vite, maintenant, en jetant des milliers de milliards dans la machine… pour éviter qu’elle ne se bloque… remettant à plus tard les transformations structurelles qu’il faudrait faire ! Pourtant, n’est-ce pas maintenant, alors qu’on est prêt à injecter de telles sommes (qui auraient fait s’étouffer tous les capitalistes il y a quelques mois), qu’il faut en profiter pour amorcer les changements qui étaient, même avant la crise financière, devenus urgents : modes de transport, d’urbanisation, de consommation… Quelle folie ce serait que d’investir le principal de notre marge de manœuvre dans une structure de production désuète…

« Investir dans des infrastructures, oui, mais pas celles d’hier !! Investir dans le transport collectif, la densification urbaine, la formation, les infrastructures de communication et de production énergétique propres… pas dans le pavage des autoroutes et la construction de ponts qui sont des supports à l’étalement urbain et à des comportements dont nous devrions consciemment soutenir la rétraction. »

Dans un autre billet sur le même sujet, il précise :
« ...on ne se surprendra pas que les villes proposent des projets liés à leurs missions : parcs, voies publiques… Mais le développement de places en garderie, de services aux aînés, la formation de techniciens dans des domaines en manque crucial… ce n’est pas ce qu’on entend habituellement par des “infrastructures” mais c’en sont vraiment pour les sociétés d’aujourd’hui. »

« L'éducation bénéficiera-t-elle de la crise économique? » François Guité croit que malgré la réussite du système actuel (!), elle suscitera de nouveaux modèles pédagogiques et des pratiques plus efficientes :

« Il y a de fortes chances pour que cette crise économique précipite le changement en éducation. Et pas seulement aux États-Unis où elle s'annonce plus grave qu’ailleurs. En plus de leur résilience, les Américains ont l'avantage d'avoir un système d'éducation très décentralisé qui se prête bien à l'expérimentation.

« Du besoin et du laboratoire éducationnel ainsi créé naîtront de nouveaux modèles pédagogiques. Peu importe comment le Québec résistera à la crise économique, et malgré la réussite du présent système, elle n'aura d'autre choix que de s'inspirer des pratiques les plus efficientes. »


Pour tenter de comprendre un peu mieux 'le système' qui nous mène en 'va comme je te pousse'... quelques articles du Monde diplomatique :
  • Le jour où Wall Street est devenu socialiste :
    « Les autorités s’inquiètent non sans raison des précédents que crée chacune de leurs interventions et de ce que les banquiers privés pourraient se laisser confortablement aller à la faillite sachant qu’au dernier moment il « faudra » leur sauver la mise, comme on l’a déjà fait pour Bear Stearns et Fannie-Freddie. La morale s’offusque de ces facilités ; on resterait difficilement placide au spectacle de la finance arrogante et enrichie quand tout va bien, se réfugiant dans le giron de la puissance publique, qu’elle traite ordinairement d’aberration soviétoïde, pour quémander protections et exceptions. » (Frédéric Lordon)
  • Penser l'impensable :
    « Pendant trente ans, la moindre idée d’une altération quelconque des fondements de l’ordre libéral afin, par exemple, d’améliorer les conditions d’existence de la majorité de la population s’était pourtant heurtée au même type de réponse : tout ceci est bien archaïque; la mondialisation est notre loi ; les caisses sont vides ; les marchés n’accepteront pas ; savez-vous que le mur de Berlin est tombé ? Et pendant trente ans, la "réforme" s’est faite, mais dans l’autre sens. Celui d’une révolution conservatrice qui livra à la finance des tranches toujours plus épaisses et plus juteuses du bien commun, comme ces services publics privatisés et métamorphosés en machines à cash "créant de la valeur" pour l’actionnaire. Celui d’une libéralisation des échanges qui attaqua les salaires et la protection sociale, contraignant des dizaines de millions de personnes à s’endetter pour préserver leur pouvoir d’achat, à "investir" (en Bourse, dans des assurances) pour garantir leur éducation, parer à la maladie, préparer leur retraite. La déflation salariale et l’érosion des protections sociales ont donc enfanté puis conforté la démesure financière ; créer le risque a encouragé à se garantir contre lui. La bulle spéculative s’est très vite emparée du logement, qu’elle transforma en placement. Sans cesse, elle fut regonflée par l’hélium idéologique de la pensée de marché. Et les mentalités changèrent, plus individualistes, plus calculatrices, moins solidaires. Le krach de 2008 n’est donc pas d’abord technique, amendable par des palliatifs tels que la "moralisation" ou la fin des "abus". C’est tout un système qui est à terre. » (Serge Halimi)
  • Les disqualifiés :
    « A la télévision, à la radio, dans la presse écrite, qui pour commenter l’effondrement du capitalisme financier ? Les mêmes, bien sûr ! Tous, experts, éditorialistes, politiques, qui nous ont bassinés pendant deux décennies à chanter les louanges du système qui est en train de s’écrouler : ils sont là, fidèles au poste, et leur joyeuse farandole ne donne aucun signe d’essoufflement. Tout juste se partagent-ils entre ceux-ci qui, sans le moindre scrupule, ont retourné leur veste et ceux-là qui, un peu assommés par le choc, tentent néanmoins de poursuivre comme ils le peuvent leur route à défendre l’indéfendable au milieu des ruines. » (Frédéric Lordon)
  • La tourmente financière vue d'un paradis fiscal :
    « Mais, quand il s’agit des banques, la règle de l’OCDE ne s’applique plus... Après le renflouement de Citigroup et l’annonce par Washington, le 25 novembre, d’une nouvelle perfusion de 800 milliards de dollars, les sommes mobilisées par les seuls pouvoirs publics américains pour soutenir l’activité ou garantir des actifs avoisinent 8 500 milliards de dollars. Une fraction aboutira sur les comptes d’établissements domiciliés dans des paradis fiscaux. » (Olivier Cyran)

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L'économie d'abord? Oui? Même au détriment de la vie?

« L'étude étatsunienne* est aussi intéressante parce qu'elle met en relief le rôle que joue le phosphore, cet oligo-élément omniprésent dans les engrais naturels et chimiques que l'agriculture industrielle utilise avec les seules limites qu'imposent les plans de fertilisation gouvernementaux. Or ces plans de fertilisation affichent les mêmes prescriptions qu'on soit sur une terre agricole de Ferme-Neuve, dans les Laurentides, ou dans un bassin en surplus de fertilisants, comme c'est le cas de nos principales rivières à vocation d'égouts agricoles.

« On touche ici un aspect méconnu de la crise des algues bleu-vert que le gouvernement Charest a évitée cet été en privant la population d'information sur l'intensité du problème pendant la saison estivale, sous prétexte d'éviter des paniques inutiles mais surtout pour éviter les projecteurs médiatiques. Que les toxines de ces algues nuisent aux usages de l'eau par les humains, c'est une chose. Mais quand elles portent atteinte à la reproduction des espèces ou provoquent des mutations génétiques, comme dans le cas des amphibiens, on assiste à une réduction importante de notre capital génétique.

« L'incapacité des gouvernements québécois successifs à contingenter l'usage des pesticides en fonction de niveaux de sécurité viables pour les humains et les espèces vivantes ou menacées engendre une hypothèque environnementale qui s'alourdit d'année en année. Nous refilons ainsi une partie de la facture de notre alimentation industrielle à la prochaine génération. Et ce n'est ni la Loi sur le développement durable, ni le projet de loi sur l'eau laissé en plan par le déclenchement des élections, ni même notre Loi sur la qualité de l'environnement vieille de 30 ans qui semblent pouvoir améliorer la situation.

« Quant au Code sur les pesticides, il permet aux agriculteurs de s'en tenir aux prescriptions des manufacturiers de ces molécules chimiques, généralement conçues pour tuer et qu'on dissémine dans l'environnement avec des oeillères qui limitent le champ de vision au seul bilan financier. Ce code servirait-il d'alibi à une contamination croissante de nos cours d'eau et bientôt de plusieurs nappes souterraines, comme l'avait soulevé la commission Beauchamp sur l'eau?

« Voilà des considérations dont on ne risque pas de débattre à fond durant ces élections, les seuls aspects agricoles de cette «campagne» qui s'annonce pas très verte se limitant plus souvent qu'autrement au combat des coqs en chef, dont les exploits quotidiens seront scrutés à la loupe par nos chroniqueurs (sportifs?) entassés dans les poulaillers roulants de chaque parti. »
* « Dans l'édition du 30 octobre de la revue Nature, des scientifiques de plusieurs universités des États-Unis signent une étude qui met en évidence le rôle de l'atrazine dans les infections des amphibiens par les vers trématodes. »
Louis-Gilles Francoeur

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URGENCE : « Enseigner non plus la compétition mais la coopération. »

Albert Jacquard et le développement durable :

« Je suis ici pour apporter ma réflexion sur ce concept de développement durable, justement, des mots qui ont fait fortune depuis quelques années. L’important, c’est de se rendre compte que cette fameuse croissance, dont on parle tant, est impossible, étant donné la finitude de la Terre. Il faut opposer les deux mots développement et croissance. Arriver à développer l’activité humaine sans augmenter la consommation des richesses de la Terre. »

Le développement durable a-t-il une dimension culturelle?
« Nous, les hommes, n’avons pas seulement besoin de nourriture, mais de bien plus, de tous les appétits culturels. Nous avons besoin de trouver des réponses à nos questions, de nous rendre compte de qui nous sommes dans le cosmos. Et la réponse, c’est que nous sommes la seule espèce qui soit capable de conscience, de penser à demain ; la seule qui, finalement, participe à sa propre construction.»

En cette période de crise financière mondiale, pensez-vous toujours que l’enjeu majeur du XXIe siècle est l’éducation, plus que la finance ?
« La finance, ça ne représente rien, personne ne comprend. Pourquoi on est riche, pourquoi on est pauvre... Avec des billets, ça ne signifie rien. C’est le phénomène des assignats pendant la Révolution. Ce qui compte, ce sont les richesses que l’on produit, celles que la nature nous donne, et surtout, les richesses sans limites que nous nous donnons à nous-mêmes, avec des projets de poésie, de beauté, de plaisir, de compréhension du monde... Et dans cette compréhension, il y a la science. »

Pensez-vous que la société consumériste dans laquelle nous vivons est prête à entendre ce discours ?
« Je crois qu’elle n’est pas du tout prête à l’entendre, mais il faut la forcer à le faire. Parce que, finalement, quand on y réfléchit, ce n’est pas durable ce que l’on fait actuellement. Détruire les réserves de pétrole, détruire la planète en stockant nos déchets n’importe où... Tout cela n’est pas sérieux. Il est temps de repenser complètement nos rapports avec la planète et, simultanément, nos rapports les uns avec les autres. »

Comment y arriver ?
« Avec l’école. La première mesure à prendre, c’est d’enseigner aux enfants non plus la compétition mais la coopération. Ce n’est pas très original de dire cela, mais c’est la seule solution. »

Propos recueillis par Gwendal Hameury
Le Télégramme.com

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