La « mafiafrique »
À l'heure où le G8 inscrit l'Afrique à son ordre du jour, Alain Deneault attire notre attention sur la critique postcolonialiste que nous a léguée l'économiste et africaniste François-Xavier Verschave, disparu le 29 juin dernier.
« Verschave a inlassablement critiqué les tractations occultes entre les élites politique, militaire, industrielle et financière françaises et une élite mise en place puis soutenue souvent au prix des pires compromissions dans les anciennes colonies devenues "indépendantes".
[Dans Noir silence], Verschave repérait avec l'aide d'associations internationales et françaises les coups fourrés, les manipulations électorales, le recours aux mercenaires, les malversations, les soutiens aux dictatures, les faits de corruption, les machinations de l'endettement... qui permettaient enfin de comprendre pourquoi ces peuples d'Afrique souffrent une misère souvent innommable au milieu de tant de richesses naturelles, et ce, dans tant de "républiques" plus "démocratiques" les unes que les autres.
Pourquoi? La réponse était à chercher au Nord, par exemple auprès d'entreprises pétrolières ou minières organisant elles-mêmes les guerres civiles qui leur permettent, avec le soutien de tel dictateur déguisé en vainqueur électoral et par la corruption de sa garde rapprochée, de s'approprier les points de forage, de terroriser telle population et de la vider de ses ressources tout en gageant sur celles-ci une dette infernale... Elle restait aussi à trouver auprès des forces politiques françaises qui se sont tellement compromises dans ces opérations qu'elles se sont faites les complices d'auteurs de crimes contre l'humanité au Congo-Brazzaville, au Liberia, au Rwanda...
La «Françafrique» que Verschave a analysée sous tous ses angles à ses débuts devenait une «mafiafrique» au fur et à mesure qu'il en comprenait la dimension globale. La mafiafrique, c'est l'ensemble des structures techniques, financières et juridiques qui permettent aux nombreux projets de pillage et de destruction de l'Afrique de se dessiner à grande échelle. Ce sont les leviers dont usent pour ce faire différents industriels, banquiers, vendeurs d'armes, courtiers, armateurs... dans les repaires sans loi de la finance que sont les paradis fiscaux et judiciaires. Les industriels canadiens telle la pétrolière Heritage Oil, qui sévit comme force de guerre au Congo-Kinshasa, la Canac, qui privatise le chemin de fer reliant Bamako à Dakar en fermant les gares aux passagers dont l'économie dépend pour ne plus transporter que des marchandises vers les ports, la société d'État Hydro-Québec, dont les privatisations au Sénégal méritent d'être analysées, ou encore l'expérience soudanaise de Talisman sont autant de cas où le Canada s'intègre potentiellement à la mafiafrique. On pressent aussi ces acteurs de la mafiafrique en ceux qui se camouflent derrière de faux remords entourant le souvenir rwandais pour mieux légitimer des soutiens militaires aux entreprises canadiennes engagées par exemple dans la brousse congolaise ou qui nomment un Roméo Dallaire sénateur pour entretenir dans le monde l'image d'un Canada droits-de-l'hommiste qui n'en finit plus de se contredire sur le terrain. »
Critique postcolonialiste - L'héritage de François-Xavier Verschave, par Alain Deneault, dans ledevoir.com, édition du vendredi 8 juillet 2005
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